Autour d’un thé à l’Art d’aimer

Une des oeuvres de l’artiste Kokito, actuellement exposée à l’Art d’aimer

Comme la plupart des êtres humains·es, j’ai des pêchers mignons. Les livres en sont clairement un, si ce n’est le plus vif! Aussi, étant particulièrement sensible aux questions liées à l’écologie, profondément féministe et membre de la lumineuse communauté arc-en ciel, il m’était impossible de ne pas être aimantée par une librairie qui regroupe tous ces thèmes: l’Art d’aimer. J’ai eu le plaisir d’y partager un thé avec Joy Purro, sa fondatrice, il y a peu de temps. Elle m’a (presque!) tout dit sur son magnifique projet, ouvert en juillet dernier en basse-ville de Fribourg. Je vous emmène!


Manon : Pour commencer, parle-moi un peu de ton parcours.

Joy : Après l’école obligatoire, j’ai fait l’Ecole de Culture Générale (ECG), puis l’apprentissage de libraire. Quand j’étais jeune, je détestais lire. Je suis dyslexique et j’étais toujours un peu réticente par rapport à la lecture. Pendant l’ECG, j’ai eu un prof de littérature incroyable et c’est comme ça que ça a commencé. J’ai d’abord été prise de passion pour la littérature française classique. Puis, j’ai découvert d’autres auteurs·trices, comme par exemple Philippe Besson, qui fait notamment de l’autofiction. Avec les années, je me suis aussi intéressée à la littérature pour ados. J’ai fait mon apprentissage chez Albert le Grand, et comme il n’y avait pas de place en fixe après cela, je suis partie pendant une année et demie à Bulle, à la librairie du Vieux-Comté. Je suis de retour chez Albert le Grand depuis 2018.

Manon : Et comment partages-tu ton temps entre tes deux emplois ?

Joy : Je suis à 80% chez Albert le Grand et à 20% ici – officiellement. Je gère ma librairie les vendredi et samedi, et le reste du temps, c’est mon ami qui me donne un coup de main. Il s’occupe aussi du site internet et de l’inventaire.

Manon : Comment ça se passe pour toi de jongler entre les deux ?

Joy : C’est un peu compliqué, quand même. Au début, ça allait bien, mais je sens que la fatigue commence à peser.

Manon : Est-ce que tu peux m’en dire plus sur l’origine du projet ? Comment cela t’est venu ?

Joy : En faisant l’apprentissage, j’ai toujours voulu avoir mon lieu à moi. Le rêve d’ouvrir ma propre librairie a toujours été très présent. Et avec les cours, on nous prépare vraiment à ça. Je suis passée par plein de concepts différents. Ce qui m’a toujours intéressée, c’est la sphère LGBTQIA+. C’est une thématique dans laquelle j’ai aussi toujours été impliquée. Je fréquentais par exemple beaucoup le bar Elvis et moi, qui a fermé en 2016. J’y allais tout le temps. Il faut créer plus de lieux comme ça à Fribourg ! Et puis, je me suis dit, pourquoi ne pas ouvrir un lieu où regrouper ma passion pour les livres avec ces trois thématiques qui me tiennent à cœur : l’écologie, le féminisme et la culture LGBTQIA+. Surtout qu’il n’y a pas de librairie LGBTQIA+ à Fribourg. Les autres thématiques sont venues plus tard. Dans ma famille, on n’était pas du tout dans ces questionnements-là. En 2011, j’ai rencontré mon ex, dont la maman travaillait justement au Bureau de l’égalité de Fribourg. J’ai donc vu ce que c’était le féminisme, et ça m’a beaucoup parlé. Ça m’a inspirée, et j’ai commencé à réfléchir là-dessus et à me renseigner.

Manon : Et l’écologie ? C’est aussi venu petit à petit ?

Joy : Cela a commencé dans le privé, quand je vivais en colocation. On a décidé de se lancer dans un mode de vie zéro déchet. Et puis, j’ai voulu l’appliquer dans ma vie professionnelle. C’était donc logique pour moi de l’intégrer aux autres thématiques. J’avais envie de les regrouper en un seul endroit parce que beaucoup de choses écrites là-dessus ont tendance à se perdre dans la masse littéraire disponible. Et comme ce sont des thématiques très actuelles, il y a énormément de choses qui sortent là-dessus. Je trouvais important de les mettre en avant de façon claire.

Manon : Est-ce que les parents qui viennent ici sont ouverts aux questions LGBTQIA+ ou viennent-ils un peu sur la pointe des pieds ?

Joy : Ils viennent justement pour voir ce que je propose pour les enfants ou pour les ados dans ces domaines. J’ai reçu pas mal de parents qui aimeraient mieux comprendre et aussi donner des exemples à travers les livres, et ainsi permettre à leurs enfants de pouvoir s’identifier à des personnages et des histoires qui leur correspondent.

Joy, prête à vous accueillir à l’Art d’aimer

Manon : Comment est née l’idée du nom, ainsi que du logo ? Un hippocampe, ce n’est pas anodin comme choix ! Sachant que c’est une des seules espèces du règne animal où le mâle porte les œufs.

Joy : C’est vrai ! Personnellement, j’adore les animaux marins. Je souhaitais un logo qui incarne au mieux les trois facettes de mon projet. L’hippocampe s’est imposé de lui-même. Concernant le nom, cela s’est fait en équipe. Mon partenaire, mon ami qui a dessiné le logo et moi, avons cherché cela ensemble. On a passé plusieurs soirées à noter sur un énorme tableau tous les mots qui nous venaient, en lien avec l’art, la littérature, l’écologie, l’inclusion. Donc le nom est sorti comme ça.

Manon : Est-ce que tu peux m’en dire plus sur le lieu ? Comment l’as-tu choisi, puis investi ?

Joy : J’avais à cœur d’être en basse-ville, car j’adore ce quartier. J’ai vu l’annonce assez tard. Du coup, j’ai contacté la régie, qui ne m’a malheureusement jamais répondu. Puis, j’ai discuté avec un ami qui fait partie de la coopérative d’habitation du quartier de l’Auge. J’ai eu un week-end pour préparer le dossier. Et je l’ai eu ! Sans même avoir pu visiter l’intérieur. J’ai eu le coup de cœur en regardant par la fenêtre. Ensuite, j’ai choisi d’investir le lieu en harmonie avec mes valeurs. Aussi, tous les meubles sont de deuxième main. Il y a également une petite section livres d’occasions (à droite de la caisse), et je souhaite développer une section dédiée à l’échange de livres.

Appel à contribution!
Des sacs en papiers, des sacs en toile à ne plus savoir qu’en faire? Des tissus que vous n’utilisez plus? Joy se fera un plaisir de les utiliser à la librairie! Comme sacs, bien entendu, mais aussi peut-être comme emballages et pochettes cadeau réutilisables. Pensez-y quand vous lui rendrez visite!

Manon : Au niveau des collaborations, est ce qu’il y a déjà des associations, d’autres magasins avec qui tu travailles ou avec qui tu aimerais travailler ?

Joy : Oui. Des amis (Ablette Records) ont récemment ouvert un magasin de disques à Fri-Son, dans les anciens vestiaires. Il y a le shop, et à l’étage un coin canapés où l’on peut écouter les vinyles. C’est ouvert du mercredi au samedi, avec également des showcases tous les jeudis soir. Je leur ai fait une petite sélection de livres pour aménager un coin lecture. Je collabore également avec la boutique BLOOM, dans laquelle je propose une sélection de livres. Je fais partie du club de lecture du Collectif féministe du sud fribourgeois, et je tiens aussi un stand lors des rencontres organisées par Vanessa Cojocaru dans le cadre de Tea Room, au Nouveau Monde. J’ai travaillé un peu avec Empreinte aussi, qui m’a demandé des listes d’ouvrages pour les jeunes, comme ils font pas mal de prévention dans les classes.

Manon : Comment sélectionnes-tu les livres que tu proposes ici ?

Joy : En grande partie, ce sont soit des titres que je connais déjà, soit que j’ai pu découvrir dans les différentes librairies où j’ai travaillé. Je procède aussi par auteur·trice. Lorsqu’un·e auteur·trice me parle, je prends toute sa bibliographie. Pour l’instant, c’est un peu compliqué de fixer des rendez-vous avec les représentants·es. Du coup, je fais beaucoup de recherche. Je suis aussi pas mal d’autres librairies sur les réseaux sociaux. Il y a par exemple la librairie QueerBooks à Bern que je vais aller visiter. J’aimerais proposer plus de livres en allemand et en anglais. 

Une création de Kokito

Manon : Je note, j’irai y faire un tour. Je te souhaite une bonne chasse ! Et du coup, en parlant de ça, est-ce qu’il y a d’autres choses que tu aimerais proposer par la suite ?

Joy : J’aimerais bien organiser un peu plus d’évènements. Il y a une belle salle accolée à la librairie, qui appartient aussi à la coopérative. Je l’ai notamment déjà utilisée pour l’apéritif d’inauguration. J’ai également à cœur d’exposer des artistes qui me plaisent, comme c’est le cas actuellement. Tu peux voir les œuvres de Kokito, une artiste lausannoise.

Manon : Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Joy : Que ça marche ! Idéalement, vu le rythme que j’ai en ce moment, ce serait que je puisse me consacrer à plein-temps à mon projet. J’aime beaucoup travailler chez Albert le Grand, mais cela devient un peu frustrant de passer mes journées là-bas alors que j’ai tant à faire ici.


L’Art d’aimer est un lieu nécessaire, chaleureux, simple et lumineux. Joy est une personne sensible, entière et ouverte sur le monde, qui sait transmettre sa passion et ses valeurs avec une générosité et une humilité rares. Les livres ont ce pouvoir magique de non seulement transmettre des idées mais aussi et surtout de servir de fenêtres, de portes et de ponts entre les mondes. A l’Art d’aimer, de nombreux·ses auteurs·trices connus·es en côtoient de plus anonymes. Mais ce qui est sûr, c’est que toutes et tous ont été choisis·es avec soin par Joy, qui, à travers sa librairie ouverte à tous·es, véhicule un véritable message d’amour pour les pluralités de notre monde.

Lien: https://art-aimer.ch/

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